par Philippe Barjaud
Lorsque nous étions à l’école primaire, un exercice de géographie consistait à compléter une carte dite « muette ». Il y avait bien les contours du pays, les tracés des fleuves, des points à
l’emplacement des villes, mais rien d’autre. C’était à nous de remplir la carte de noms, de régions, de rivières, de localités.
Ces noms de lieux, ou « lieux-dits », qu’on appelle encore « toponymes », ont été donnés par les générations successives qui ont vécu sur cette terre. En langue celte avant notre ère, en latin
par les Gallo-Romains, puis en occitan, et finalement en français, mais sans que cette dernière « couche » ne masque complètement les plus anciennes. Leur sens est parfois évident, mais souvent
obscur. Pourtant, la plupart du temps, il veut dire quelque chose, du caractère du lieu, de ce qui y pousse, du travail qu’on y pratique, de ce qui s’y passa un jour…
Sur la carte IGN et sur le plan cadastral, notre territoire est rempli d’une foule de noms. Pour le premier d’entre eux, Capestang, l’origine du mot
est facile, car le bourg est situé tout au bout, « à la tête de l’étang », du latin caput, « tête » et stagni« de l’étang ».
Un autre nom dérivant du latin est Le Viala. Il est très commun dans tout le Languedoc, très tôt romanisé, et pour cause : il s’agit de la villa gallo-romaine, l’équivalent de nos domaines actuels.
Juste en contrebas du Viala, le vallon s’appelle les Salicornières, à proprement parler un milieu où pousse la salicorne, dont le nom commence par sal, le sel en latin. En effet, cette plante est dite « halophyte », c’est-à-dire qu’elle
ne croît que les terres riches en sel marin, ce qui est une preuve que l’étang de Capestang a bien été une lagune salée.
Le chemin qui monte juste après le cimetière, en direction du château des Carasses, porte le nom de Nega Feda, une expression occitane qui se prononce
nègo-fèdo, ce qui signifie « la brebis noyée »… L’image est parlante : le chemin recoupe en effet un ruisseau encaissé du même nom, où il est probable qu’un jour d’orage, une
malheureuse ruminante ait perdu la vie, emportée par les flots…
Tout à fait au nord, à la limite de nos voisins de Puisserguier, le lieu-dit de Malemort, en occitan mala
mort, « mort subite ». Alors, un accident ou un crime ayant frappé les esprits ? Une autre explication se dessine, il semble que sur ce lieu se tenait autrefois un gibet. Un
indice de plus, le lieu-dit tout proche de Montfaucon, sur Puisserguier, qui a peut-être reçu ce nom de la localité proche de Paris où l’on pendait jadis les condamnés à mort ?
Pour finir plus légèrement, tournons-nous vers les collines qui bordent le nord du territoire, et portent le nom de pechs : pech de la Bade, pech du
Thou, et même deux pechs Roudou. Un pech serait-il donc une « colline » ? Gagné ! Ce mot, qu’on trouve ailleurs sous les formes puech, pioch, ou encore puy dans le Massif central, est un terme occitan dérivant du latin podium, qui possède bien ce sens de « hauteur, colline… ».
Restons sur les pechs, et examinons leurs trois qualificatifs, ils sont tous intéressants…
Que dire du Thou ? En occitan, c’est le ton (prononcer tou), c’est-à-dire un
aqueduc… Et comme par hasard, c’est à son sommet qu’est édifié le réservoir d’eau potable de la ville ! Il semble qu’à son pied, se serait trouvée jadis la source qui, via une conduite
souterraine alors nommée « canonade », alimentait la fontaine du Théron, aujourd’hui tarie et même oubliée. D’ailleurs, le lieu-dit juste en dessous de la Croix de Migou se nomme
Fonclare, de l’occitan font clara, « source limpide ». Nous en profitons pour solliciter toute personne
ayant des informations sur cette source mystérieuse (peut-être qu’une nouvelle Manon nous le dira ?).
Quant au qualificatif roudou, là on hésite… soit il désigne la forme de la colline, de l’occitan redond (prononcer
rédou), en français rond, soit encore, d’après Hamlin, ce serait un lieu où pousse en occitan le
rodor (Coriaria myrtifolia) ou herbe aux tanneurs, une plante vénéneuse pour les troupeaux. Le nom donné aurait donc été un avertissement pour les
bergers !
Enfin, La Bade, que l’on retrouve dans le verbe français bader, c’est-à-dire « regarder bouche-bée », qui
vient de l’occitan bada, désignant un lieu particulièrement élevé, d’où l’on pouvait guetter aisément au loin d’éventuels oiseaux de bon ou de mauvais
augure. En tout cas, un superbe belvédère pour embrasser un magnifique panorama, de l’étang jusqu’aux Pyrénées, accessible depuis le GR 78-7, de Capestang à Fontcaude…
Sources :
- « Dictionnaire Occitan Français », Louis ALIBERT, éd. IEO, 1966
- « Capestang, Histoire et inventaire d’un village héraultais », collectif, 2011
- « Histoire de Capestang, Vues capestanaises », Emile VIALES, inédit 1960