Par Philippe Barjaud, avec l'aimable autorisation de Jacques Cros
NB : Ce beau texte a été rédigé en 2001 par notre ami Jacques CROS, de Cessenon, pour le bulletin
n° 19 de
l’"Association 1851, pour la mémoire des Résistances républicaines". Qu'il en soit ici chaudement remercié.
À cette époque la commune connaît, comme toute l’Europe, une crise économique. Ici, c’est un village strictement agricole et, sans qu’elle soit en état de monoculture, la vigne est devenue
dominante. Pourtant, et la démographie en témoigne puisque la population est passée de 1000 à 2000 habitants, il y avait eu jusqu’ici une période favorable. Le commerce des Trois-Six avait en
effet été favorisé par la création du Canal du Midi.
Oui, à cette époque, le vin produit était systématiquement destiné à la chaudière. Mais autour des années 1850 il y a déjà un phénomène de mévente. Situation difficile donc pour les petites
gens car ce sont toujours les mêmes qui font les frais des crises !
La révolution de 1848 n’avait pas été à la hauteur des espérances, et les Républicains attendaient beaucoup des élections prévues pour 1852. Le barbier de Capestang avait même inscrit ces
espérances sur son plat à barbe. Celui-ci a d’ailleurs par la suite servi de pièce à conviction dans le procès qui lui a été fait.
Des mesures restreignant le suffrage universel (obligation de résider dans la commune depuis trois ans pour avoir le droit de vote) avaient conduit à ce que 321 citoyens de Capestang soient
rayés des listes électorales.
Pour assurer le succès des idéaux d’une République « Belle et Bonne » un réseau de sociétés secrètes s’est développé en France. A Capestang ils sont une cinquantaine d’affiliés. Pour la
plupart ce sont sans doute de petits propriétaires ou des ouvriers agricoles, la mention cultivateur, qui figure le plus souvent en regard de chaque nom, n’étant pas explicite.
La nouvelle du Coup d’État est connue à Capestang le 4 décembre (1). Des délégués sont envoyés au cimetière de Béziers, point de ralliement de la manifestation prévue pour se rendre à la
sous-préfecture. Mais une cinquantaine de membres de la société secrète, dont parmi eux certains de Poilhes, se sont réunis aux alentours du village et, au son du tambour qui bat la générale,
ils entrent dans celui-ci.
A Capestang il y a une caserne de quatre gendarmes. Ceux-ci vont au devant des manifestants. Le Maire, et Conseiller Général, Adolphe Saïsset, républicain modéré, parvient à faire tampon
entre eux. Et puis, alors que les protagonistes s’éloignent, des coups de feu éclatent et deux gendarmes sont blessés, dont un, Cassan, grièvement (il sera amputé d’une jambe).
Les Républicains investissent la commune et l’occupent jusqu’au 10 décembre. Des gardes sont assurées aux portes du village que les riches propriétaires ont quitté. Aucune exaction, aucune
atteinte à la propriété, ne sont relevées pendant cette période.
Le 10 décembre arrive la colonne mobile, forte de 200 hommes, commandée par le colonel Montfort. La chasse à l’homme est organisée dans la campagne environnante où se sont réfugié les
insurgés. Il y aura deux blessés et un mort parmi ceux-ci. Curieusement l’histoire n’a pas retenu le nom de celui-ci.
Les arrestations vont avoir lieu et les procès par les commissions mixtes se dérouler à Montpellier. Lors du plébiscite des 20 et 21 décembre qui suit et légitime le Coup d’Etat, le nouveau
Maire de Capestang, un certain Mirabel, peut faire état de 569 OUI et un bulletin blanc sur les 570 votants. On ne connaît pas le nombre d’inscrits et partant celui des abstentions.
Une cinquantaine de gens de Capestang sont appréhendés. On relève deux contingents de départ en exil, l’un de Sète avec 19 condamnés qui vont à Bône, l’autre de Toulon avec 12 autres
condamnés qui partent pour Cayenne.
Parmi ceux-ci on relève le nom de Jean Pech. Il est né en 1826 et a donc 25 ans au moment des événements. Il deviendra pour Capestang la figure emblématique de cette période. En Guyane il
partagera la cellule de Casimir Péret et fera partie des six détenus qui tenteront une évasion au cours de laquelle l’ancien Maire de Béziers trouvera la mort après que le canot emprunté se
soit disloqué. C’est Jean Pech qui, après avoir nagé pendant quatre heures, permettra que des secours atteignent le récif où ont abordé les naufragés.
Naturellement l’arrivée des secours c’est aussi le retour à la prison et Jean Pech ne retrouvera Capestang qu’en 1859, c’est à dire qu’il sera resté huit ans en exil. Il aura l’occasion à
Cayenne de fréquenter Delescluze, le futur Communard, et on peut suivre à travers sa correspondance l’évolution de sa conscience politique ainsi que sa meilleure maîtrise de la langue écrite.
Il dira : « J’étais un mouton, je suis devenu un tigre ».
De retour chez lui Jean Pech se retirera de la vie politique. On relève cependant sa participation, en 1907, à l’inauguration de la stèle à Casimir Péret, près de la cathédrale, que l’on doit
au père de Jean Moulin.
Devenu aveugle, il mourra en 1913 à l’âge de 87 ans. Son plaisir dans ses vieux jours était d’être conduit jusqu’à sa vigne dont il aimait toucher les ceps. Le 1er décembre 2001, la veille du
cent cinquantième anniversaire du Coup d’État de Napoléon III, une plaque sera apposée sur la maison où a vécu Jean Pech.
Quand on connaît l’histoire récente de Capestang on ne peut que constater une filiation entre les insurgés de 1851 et l’engagement républicain, constamment renouvelé, de la commune. Depuis
1900, le Maire a en effet toujours été de gauche. En 1944, ce sont Capestang et Poilhes qui ont fourni l’essentiel des martyrs de Fontjun. Chaque année, pour le 14 juillet, le drapeau rouge
est hissé au haut du clocher en même temps que le drapeau tricolore. Il y reste d’ailleurs jusqu’à ce que les intempéries le déchirent.
(1) Le Coup d’État de 1851 et ses conséquences nationales (Note de Ph. Barjaud)
Des élections législatives et présidentielles devaient se tenir en 1852, mais la Constitution de la 2ème République interdisait au président de la République, Louis Napoléon Bonaparte, de se
représenter. Devant la montée des tensions sociales, et craignant de perdre ces élections, il provoque un Coup d’État le 2 décembre 1851, en décrétant la dissolution de l’Assemblée Nationale,
le rétablissement du suffrage universel masculin, la convocation à un plébiscite les 20-21 décembre afin de faire approuver son coup d’État, et la préparation d’une nouvelle constitution.
Plus que celui de Paris, c'est le peuple des zones rurales qui s'insurge, dans une trentaine de départements. Parfois, les républicains prennent les armes et marchent sur les chefs-lieux.
L'état de siège est proclamé, la résistance écrasée par l'armée en quelques jours. On compte plusieurs centaines de tués à Paris et en province, et 27.000 personnes arrêtées et inculpées.
Sources :
Jacques Cros, Association 1851, pour la mémoire des Résistances républicaines