par Philippe Barjaud
Marianne, symbole de la République française, tout le monde la connaît. Dans la salle du Conseil Municipal, son buste préside aux séances laborieuses comme aux joyeuses épousailles. Mais ailleurs, dans l’espace public, comme par exemple la belle statue trônant à Puisserguier ? Eh bien non, pas de Marianne en pied dans les rues et places de Capestang…
Pourtant, il aurait dû en exister une… Mais d’abord, remontons un peu le cours de l’histoire.
Déjà, d’où vient Marianne ? Guillaume LAVABRE, un cordonnier-poète de Puylaurens (Tarn), compose en octobre 1792 une chanson révolutionnaire « La guérison de Marianne », une allégorie de la jeune République luttant contre divers maux, et les surmontant, grâce entre autres à « une once d'Égalité et deux drachmes de Libertés ». Très vite, le personnage est adopté par les Républicains, comme symbole vivant du nouveau régime.
Dans l’Hérault, comme dans l’Aude, l’érection de ces monuments en place publique ne commence que près d’un siècle plus tard, au début de la troisième République proclamée en 1870. Comme le raconte notre ami historien Jacques CROS, citant les travaux d’Andrée et Jean PIACÈRE, notre département en compte actuellement 52, celle de Marseillan inaugurée le 1er novembre 1878 étant considérée comme la plus ancienne de France.
Mais revenons à Capestang, et plus précisément sur la place de l’Hôpital, ou encore place de l’Abreuvoir, actuellement place Ferrer. Le 12 juin 1830, une délibération du conseil nous décrit l’invraisemblable état de désolation du lieu :
« Comprenant que la place de l’hôpital située dans l’endroit le plus bas de la commune reçoit les trois quarts des eaux pluviales du village, et par surcroît est surchargé de l’évacuation des perdants de l’abreuvoir public situé sur cette place ; considérant que le défaut d’évacuation des eaux croupissantes au milieu de ce quartier procure aux malades de l’hôpital et à ses employés des fièvres continuelles ainsi qu’à la population des habitants, presque toujours malades ou convalescents, et les réduit dans un état de misère et de désolation par les fréquents envahissements des eaux dans leurs maisons ; (…) le conseil municipal vote la construction de l’aqueduc sur la place de l’hôpital, grand et commode pour recevoir les eaux perdantes de l’abreuvoir de la place, et la quantité de celles qui s’y rendent par les temps d’orage. »
Pourtant, malgré ce constat et la volonté affichée d’y remédier, pendant encore cinquante ans, rien ne se passe… Jusqu’à ce 11 novembre 1879, où un nouveau projet, dressé par M. Empereur, architecte à Béziers, sort des cartons :
« M. le Président (Léon Dieulefit, adjoint faisant fonction de maire) expose au Conseil que la place de l’abreuvoir à Capestang est dans un état déplorable de malpropreté, les eaux n’ayant pas l’écoulement nécessaire croupissent et rendent le quartier malsain. Pour remédier à cet état, j’ai fait étudier un projet de nivellement de cette place ainsi que le projet d’un monument à élever sur cette place après qu’elle aura été restaurée. Le Conseil délibère à l’unanimité, qu’il y a lieu d’adopter le projet de nivellement et restauration de ladite place, ainsi que le projet de monument commémoratif aux armes de la ville surmonté d’une statue en pied de la République. »
Ce projet de monument n’arrive pas par hasard… Dans de très nombreuses municipalités, la nouvelle République, par l’action de ses édiles, a absolument besoin de s’affirmer, face aux forces conservatrices (monarchistes, bonapartistes, cléricales), toujours combattives. Et quel meilleur argument, à porter à son actif, que la mise en œuvre d’équipements publics immédiatement visibles, et améliorant grandement la vie quotidienne ? Dans d’autres communes, c’est l’adduction d’eau potable. Ici, ce sera l’assainissement d’un insupportable cloaque, et partant, l’amélioration de la santé publique.
Une enquête publique est ordonnée, seules trois personnes s’opposent au projet, le conseil sollicite donc le 11 mai 1880 l’approbation du Préfet, qui intervient le 26 juin…
Hélas ! Trois mois plus tard, l’examen de l’état désolant des finances communales, et notamment l’obligation de construire un logement pour la directrice de la future « salle d’asile », c’est-à-dire l’école maternelle, impose l’annulation du projet de nivellement de la place, et donc de l’édification du monument dédié à la République… La Marianne de Capestang ne verra donc pas le jour !
Heureusement, au milieu des archives municipales, nous avons mis la main sur le dessin décrivant le projet. Sur un fort soubassement en pierre sculptée s’amincissant vers le haut, portant les armes de la ville de Capestang et la mention de la République Française, est juchée une jeune femme, drapée et coiffée d’un bonnet phrygien, tenant un glaive la pointe vers le bas ; à ses pieds, un faisceau représentant l’autorité de l’État, et une large coupe portant l’inscription « Suffrage Universel », duquel elle tient sa légitimité.
Pour mieux le visualiser, nous avons incrusté le monument dans des photos de l’actuelle place Ferrer. Ne sachant où il aurait pris place, deux localisations sont proposées. Laquelle aurait remporté vos suffrages ? Et si ces clichés donnaient aujourd’hui une idée d’aménagement de cet espace…
Épilogue…
Le projet est tombé à l’eau, mais le problème de l’insalubrité de la place demeure.
Treize ans plus tard, le 13 juin 1893, le Conseil est à nouveau invité à délibérer, cette fois sur le projet de M. Donnadieu, architecte à Béziers. visant à « faire disparaître le foyer d’infection » et « donner aux eaux leur écoulement naturel dans le ruisseau de Saïsses ».
L’entreprise Maga est chargée des travaux de nivellement… Tout va bien, alors ? Non, hélas, puisqu’un an après, le 12 juin 1894, il est constaté que « les caniveaux sont trop étroits et d’une pente tellement insignifiante, que les eaux pluviales ont pénétré dans les maisons des propriétaires riverains de la place » !
D’où de nouveaux travaux, sous la direction de l’architecte communal M. Cabannes, qui semblent avoir porté leurs fruits.
Sources :
Archives départementales de l’Hérault, dépositaire des archives communales
« Les Mariannes de l’Hérault », Jacques CROS, publié dans l’Hérault du Jour du 2 juin 2004 (https://1851.fr/lieux/marianne_herault/)