Quand le moindre voyage était une aventure

par Paul Albert


 

Jusqu’au Second Empire, faute de mieux, les voyages ne s’effectuent qu’en voiture à chevaux, en barque sur les canaux, les quelques rivières navigables dans le meilleur des cas, à pied le plus souvent. Les distances, calculées en temps de parcours, étaient donc considérables. Dans ces conditions, la plupart des régions vivaient largement repliées sur elles même et les particularismes locaux étaient très nombreux. La nation française a été proclamée pendant la Révolution, mais elle était encore loin d’être totalement unifiée. Dans la dernière partie du siècle, ce sera l’œuvre des chemins de fer, du service militaire et de la diffusion de l’enseignement.

 

 

Ces extraits de récits de voyages vont nous le démontrer.

 

Les gens du Midi, perçus par des voyageurs venus du nord

 

A l’exception du grenoblois Stendhal, les autres sont des parisiens. Ils sont plus dépaysés que nous le sommes nous-mêmes en franchissant les océans ! S’ils apprécient le climat, ils sont déroutés par la langue parlée et ne portent pas en haute estime les habitants du lieu, surtout les plus pauvres. C’est un euphémisme ! On n’attendait pas de tels propos de la part d’une pionnière du socialisme et du féminisme comme Flora Tristan ! On frémit devant le racisme de Taine.

 

 

 Michelet- Toulouse 1833 

 

« Vous arrivez le soir dans quelque grande et triste ville, si vous voulez à Toulouse. A cet accent sonore, vous vous croiriez en Italie ; pour vous détromper, il vous suffit de regarder ces maisons de bois et de brique ; la parole brusque, l’allure hardie et vive vous rappelleront aussi que vous êtes en France. Les gens aisés du moins sont français ; le petit peuple, c’est tout autre chose, peut-être espagnol ou maure. »

 

 

Stendhal - Toulouse, le 28 mars 1838   (Mémoires d’un touriste)

 

« Je rentre chez moi. Vent du nord et, toutefois, je prends le frais avec délices à une fenêtre en plein nord (N°43, hôtel Casset ; prendre toujours cette chambre au quatrième. Ces gens si bruyants, prononçant toutes les finales et quelque peu grossiers, n’ont pas la patience de monter au quatrième).

 

Je comprends parfaitement le toulousain qui ressemble infiniment plus à l’italien qu’au français ; il me semble entendre un dialecte d’Italie. Une femme vient de dire à côté de moi passegiar pour promener ; la phrase m’indique que pla veut dire beaucoup ; il y a quelques mots français. »

 

 

Flora Tristan à Béziers, 1844 ( Le tour de France- Journal- Maspero)

 

« La ville est affreuse de saleté, mal bâtie, cela fait mal à voir. Je suis à l’hôtel des Postes et des plus beaux. C’est quelque chose que je n’ai pas encore vu comme saleté de tout- pauvreté de linge, de vaisselle-et les garçons ! Et le maître ! J’aimerais mille fois mieux être dans la hutte d’un indien ! Aucun ne parle français, on peut se croire dans un pays barbare aux confins de l’Amérique. Pauvre France ! Et le ciel qui éclaire ces gens-là est magnifique !

 

Charmant hôtel des Postes. Une chambre horrible donnant sur une petite cour puante remplie de volailles, où je suis asphyxiée. 2 F ! je n’en avais jamais vu une aussi laide pour 1 franc, c’est une exploitation… »  

 

 

Les Montpelliérains vus par Hippolyte Taine (notes de voyage rédigées de1863 à 1866).

 

« Tout est chant dans leur langage ; on dirait des Italiens, plus légers et plus enfants. A les écouter, on a peine à croire qu’ils parlent sérieusement ; ce sont des polichinelles gentils. Et quelle familiarité ! quelle audace ! Leur civilisation de l’an 1100 était un mélange de précocité, de polissonnerie, d’extravagance. On comprend qu’ils aient reçu d’ailleurs une discipline et des maîtres. Moineaux délurés, sautillants, impertinents, imprudents, bons pour babiller, donner des coups de bec, lisser leurs plumes, courtiser les femelles, avoir bon air et entrer en cage.  Comme l’Italie, c’est un pays tombé qui reste en arrière des autres, et ne remonte au niveau des autres que par le contact d’une administration ou d’une civilisation étrangère. »

 

Plus d’un siècle et demi après, l’occitan n’est plus qu’une langue résiduelle et de générations en générations, les normes télévisuelles effacent jusqu’à l’accent qu’il avait laissé en héritage. L’émoi provoqué chez certains « nordistes » par les intonations jugées indignes d’un premier ministre, n’est qu’un lointain écho de ce que nous venons de lire.

 

 

Mais attention, des propos similaires pouvaient être tenus entre méridionaux, eux- mêmes

 

Jean Marie Amelin (1785-1858) a longtemps été professeur de dessin à Montpellier. Il nous a laissé un grand nombre de dessins sur des paysages de notre département et un Guide du voyageur dans le département de l’Hérault (1823) consultable gratuitement sur internet : https://play.google.com/store/books/details?id=I3dSNcadc1gC&rdid=book-I3dSNcadc1gC&rdot=1

 

Vivant depuis longtemps dans le Midi, il en fait une description plus bienveillante :

 

« Dans les villes on commence à parler généralement français, mais les classes inférieures et les habitants des campagnes parlent patois. Ce n’est au reste un inconvénient que pour un étranger de passage. Le patois est souvent gracieux et a des tours piquants à raison de ces augmentatifs et diminutifs…il n’est pas inutile d’observer qu’il se divise en une infinité d’idiomes différents.»

 

Il présente cependant l’élaboration de son ouvrage comme une aventure périlleuse :

 

« Je ne dois point dissimuler les désagréments de toute espèce que j’ai éprouvé et la persévérance avec laquelle j’ai abordé sans être dégoûté, les difficultés sans nombre et de nature diverse. »

 

Il s’attarde à Capestang où cet amateur de vieilles pierres trouve matière à dessiner, mais est sans complaisance pour la population locale : « habitants passablement simples, l’air stupéfait quand ils voient un étranger » note-t-il en passant à Puisserguier. Il faut dire que chaque village consomme d’abord ses produits, se distingue par des coutumes, des légendes, parfois un vocabulaire, qui lui sont propres. L’étranger, c’est déjà l’habitant du village à côté.

 

Le livre se transforme en guide de l’explorateur quand il évoque La Salvetat :

 

« Pays peu civilisé, assez ingrat à parcourir, surtout pendant la saison rigoureuse. Pour s’enfoncer dans ces cantons sauvages, il faut avoir affaire ou désirer fortement connaître le pays.

 

…Dans tous ces cantons, si l’on ne savait pas que l’on est en France, on pourrait se croire au moins parmi les Iroquois. Presque tous les paysans dans ces montagnes, ont de grandes queues qui leur pendent risiblement le long du dos et qui ressemblent pas mal à celles du gros bétail. Il n’y a que deux écoles primaires dans le canton, on s’en aperçoit aux mœurs des habitants.»

 

Mais à l’époque, en ce qui concerne les gavachs, la plupart des païsbassols sont du même avis.

 

 

 

Les recensements effectués au XIXème siècle fournissent rarement les lieux de naissance. Seuls les actes de mariage peuvent aider à se faire une idée des flux migratoires.  Les 322 conjoints concernés constituent un échantillon crédible.

 

70% des mariés sont nés à Capestang et plus de 80% dans le canton.

 

On remarquera la faiblesse des effectifs provenant du reste du Biterrois. L’horizon des Capestanais ne dépasse pas la rive droite de l’Orb. Par contre, malgré la coupure départementale, les Audois sont nombreux, certes des villages voisins, mais aussi du Minervois et des Corbières.

 

Enfin, la grande descente des gavachs n’a pas encore eu lieu.