par Paul Albert
Dans la commune, où la grande propriété est très présente, les conflits du travail ont longtemps focalisé l’attention.
La grève de 1933, par sa durée, sa dureté, a profondément marqué et divisé le village.
Une attitude patronale vécue comme une provocation
En Octobre 1932 : l’union des syndicats de propriétaires Béziers-St Pons, décide de diminuer le salaire horaire de 3,25 F à 3 F et justifie sa position en faisant valoir que le coût de la vie a baissé dans les mêmes proportions entre 1931 et 1932, tandis que le prix de vente du vin chutait de 33%.
En réponse à cette attitude, des grèves éclatent à Valros dès le 14 avril, à Cazouls, Montady, Vendres, Portiragnes, Florensac, Marseillan, Agde, Capestang et Poilhes le 17.
Partout, une solution est rapidement trouvée, les ouvriers de Valros obtenant même une augmentation de leur salaire porté à 3,50 F/H dès le 17 avril.
Partout, sauf à Capestang et Poilhes malgré les trois tentatives d’arbitrage du maire Jean Casamia, puis du juge de paix et du sous-préfet qui se sont heurtées à une fin de non -recevoir de la part du patronat. Le début d’un interminable et douloureux conflit durant lequel chacun va durablement camper sur ses positions.
Pourquoi ?
Des protagonistes particulièrement déterminés
Cela tient d’abord à la personnalité des uns et des autres et au contexte local.
Les propriétaires des grands domaines, qui sont pourtant concernés au premier chef, demeurent soigneusement dans l’ombre, derrière leur régisseur et leur porte-parole, Basile Doumenc, qui est loin d’être le plus gros propriétaire du village. Leur attitude est d’autant plus ferme, que les tensions nées de la grève de 1926 ne sont pas complètement retombées. Notons cependant que de nombreux petits et moyens propriétaires, un moment entrainés dans leur sillage, se sont désolidarisés. Le 1er mai, 110 d’entre eux avaient accepté de signer le contrat de travail proposé par les grévistes.
Face au patronat, il y a la grande détresse des ouvriers et des syndicats en ordre de bataille. Deux syndicats, d’accord sur l’essentiel, mènent la lutte.
Le syndicat autonome est en fait proche de la SFIO. Son responsable, Victor Roussel a été promu président du comité de grève.
L’autre syndicat, affilié à la CGTU, est sous la coupe du parti communiste. Hervé Galinier en est le dirigeant local, mais à l’occasion de ce conflit, son véritable chef est André Puech, dit « Parsal ». Ce dernier est un Capestanais, ancien ouvrier agricole, devenu cadre du jeune parti communiste. Avant d’être député de la Seine en 1936, il vient d’être nommé secrétaire général de la Fédération agricole de la CGTU. On comprend que cette grève lui tient à cœur. Il est omniprésent. Le maire Jean Casamia affirme d’autant plus son soutien sans faille aux ouvriers en lutte, qu’il a le souci de ne pas se faire déborder par André Puech. N’oublions pas, qu’en outre, le rapprochement entre les deux partis, qui permettra la constitution du Front Populaire, n’a pas encore eu lieu.
L’engrenage infernal de l’exaspération et du désespoir
Par ailleurs ces grèves agricoles avaient leur spécificité qu’il faut bien avoir présentes à l’esprit pour comprendre le climat dans lequel celle-ci s’est déroulée.
Comme le fait remarquer Jean Sagnes, à la différence des grèves dans le milieu industriel, il n’y a pas ici lutte entre des salariés et une entreprise, mais entre des salariés et les entreprises de tout un village. C’est donc tout un village qui finit par être coupé en deux !
Et ce, d’autant plus que la tradition veut que chaque soir, les grévistes parcourent les rues du village en cortège avec tambours et clairons au son de l’internationale et de la carmagnole mais aussi d’autres chansons confectionnées pour l’occasion. Dès le soir du 16 avril, veille du premier jour de grève, celles de 1926 sont à nouveau entonnées ; d ’autres viendront, moquant quelques propriétaires jusque sous leurs fenêtres. Morelly lui-même, militant et artiste professionnel, n’hésite pas avec emphase à écrire pour l’occasion une chanson dont le refrain exhorte au grand soir :
Et les grands seigneurs de la terre
De Poilhes et de Capestang
Seront chassés par le vent
De saintes et belles colères
Et les jours seront meilleurs aux travailleurs
Ils ne connaitront plus la misère
La paix règnera dans les champs
L’amour chantera son chant
De Poilhes jusqu’à Capestang
Ou De Moscou jusqu’à Capestang (version transcrite par A. Tastavy)
Des piquets de grève ont été disposés aux sorties du village pour inciter à l’arrêt du travail.
Malgré les manifestations de solidarité, la misère des petits viticulteurs devient vite insupportable.
Pendant ce temps, dans plusieurs grands domaines, les patrons ont cherché à briser le mouvement en embauchant à un prix bien supérieur à celui qu’ils refusaient aux grévistes, des ouvriers étrangers à la commune, pour travailler sous la protection de la gendarmerie : au grand St Nazaire d’abord, puis à Aureilhe, Sibadiès, le Bosc, la Bastide Vieille.
A l’appel des patrons, les forces de l’ordre ont été de plus en plus nombreuses sur le territoire communal. Selon André Tastavy, 150 gendarmes et gardes mobiles sont présents dès le 7 mai.
Au fil des jours la tension est montée alors que le printemps pluvieux exigeait des campagnes de sulfatage. Les nerfs étaient à bout !
A un moment ou un autre, tout le monde a perdu la tête
Ce fut le cas des grévistes, parfois armés de tuteurs, allant en nombre essayer de dissuader les « jaunes » de poursuivre leur travail. Ils n’auraient pas dû, par temps de mildiou interdire l’accès des vignes aux petits propriétaires qui leur avaient manifesté jusque-là compréhension et parfois soutien.
Les forces de l’ordre ont cédé à plusieurs reprises à des gestes d’énervement et pas seulement le maréchal des logis qui a chargé sabre au clair.
La tension a culminé le dimanche 21 mai, où, après plus d’un mois de grève sans résultat, l’exaspération était à son comble. Au village même l’ambiance était déjà électrique sur le marché. A la sortie de la messe, Basile Doumenc qui avait fait savoir qu’il était armé, a été poursuivi par la foule et conduit de force à la Mairie pour y signer sous la contrainte, le contrat de travail souhaité par les syndicats. Le maire, bientôt sur les lieux, a été accusé de complicité lorsque gendarmes et gardes mobiles sont intervenus pour déblayer les places de l’Eglise et « libérer » le président du syndicat des propriétaires.
Le même jour, hors du village, l’entrepreneur Garcia, chargé de fournir aux grands domaines des travailleurs de rechange, a été roué de coups, par un groupe de grévistes et hospitalisé à Béziers.
Les ouvriers ont finalement obtenu gain de cause, mais à quel prix !
Une trentaine de grévistes ont été arrêtés. L’état de siège a été proclamé sur la commune et le maire dessaisi de ses pouvoirs de police.
La Chambre des députés, sur l’impulsion de ses représentants héraultais, s’est emparée de l’affaire et le ministre du travail François Albert se charge de résoudre le problème. Après avoir reçu une délégation des syndicats ouvriers, il confié à l’un de ses collaborateurs, le règlement du conflit : Les patrons proposant 3,35 F /heure pour les hommes et 1,68 F /Heure pour les femmes, après 53 jours de lutte, le travail a pu reprendre le 8 juin au matin.
Mais la tension n’est réellement retombée que lorsque les derniers grévistes condamnés ont été libérés et amnistiés. Et le dernier ne l’a été que le 2 juillet !
La commune est malgré tout condamnée à verser des réparations pour dommages subis à Basile Doumenc et Garcia.
Mais le chômage sévit plus que jamais !
Décidément, le temps des grandes grèves semble révolu. Et de fait, celle-ci est l’une des dernières.
Pour améliorer le sort des « cultivateurs », dont nous avons vu qu’ils sont aussi souvent de petits propriétaires, d’autres voies semblent désormais plus profitables.
Depuis 1930, les gouvernements successifs interviennent de plus en plus pour assainir le marché du vin. Il s’agit de parvenir à un prix minimum garanti et à terme d’en finir avec la surproduction. Les mesures décidées par la loi de décembre 1934 et le décret-loi d’août 1935, sont de plus en plus contraignantes :
- Campagnes de distillation
- Interdiction de plantations dans toute exploitation supérieure à
1 hectare ! - Primes à l’arrachage. La superficie en vignes doit diminuer de
150 000 hectares au 1er janvier 1938.
Il s’agit surtout par un blocage des récoltes et un échelonnement des ventes tout au long de l’année, d’enrayer l’effondrement des cours, de parvenir à un prix « social » différent de celui résultant du libre cours de l’offre et de la demande. Tout producteur de plus de 300 hectolitres est désormais soumis à cette contrainte.
Les petits viticulteurs ne peuvent qu’être favorables à cette dernière mesure destinée à assurer leur survie. Oui mais, pour se soumettre au système de blocage des récoltes, tirer profit de l’échelonnement des mises sur le marché, encore faut-il disposer de capacités de stockage suffisantes…et ce n’est pas le cas. L’adhésion à une cave coopérative est plus que jamais la solution ! Ceux qui s’y sont lancés dès le début du siècle l’ont bien montré. La multiplication des caves dans les années 1930 est une conséquence de la mise en place de cette politique.
Remarquons cependant que si la création d’une cave coopérative est nécessaire pour les petits viticulteurs, elle intervient, surtout à Capestang, au plus mauvais moment.
Bien sûr l’Etat est favorable à une initiative qui ne peut que favoriser l’application de sa politique. Des subventions seront fournies.
Mais l’opération suppose de lourds investissements dans un contexte de crises multiples :
- Crise économique et sociale dans laquelle la France s’enfonce depuis 1931
- Crise viticole
Terrible crise que vient de traverser le village en 1933.
Elle a plus qu’ailleurs asséché les trésoreries, elle a accumulé les divisions, les rancœurs, alors que journaliers micro-exploitants, petits et un jour moyens propriétaires vont avoir intérêt à s’entendre. La réussite de l’entreprise n’exige-t-elle pas l’achat d’un nombre suffisant de parts de cave ?
En 1936, caves et distilleries coopératives sont malgré tout édifiées. Comme l’argent manque terriblement, elles ne seront pas inaugurées.
BIBLIOGRAPHIE
- Geneviève GAVIGNAUD-FONTAINE- Le Languedoc viticole, la Méditerranée et l’Europe au siècle dernier (XXe)- Université Paul Valéry- 2000
- Geneviève GAVIGNAUD-FONTAINE et Gilbert LARGUIER- Le vin en Languedoc et en Roussillon- de la tradition aux mondialisations XVIe-XXIe siècle- TrabucaÏre-2007
- Rémy PECH - Entreprise viticole et capitalisme en Languedoc-Roussillon- du phylloxera aux crises de mévente. Université Toulouse le Mirail.
- Jean SAGNES - Politique et syndicalisme en Languedoc – L’Hérault durant l’entre-deux-guerres- Université Paul Valéry- Montpellier.
- André TASTAVY- La grève agricole de Capestang- Inédit- 1935.
- Max DERRUAU- Un village tombeau en Bas-Languedoc : Capestang- Revue de géographie Alpine-1953
Revue de presse, 1933
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