par Christine Espallargas-Moretti
En 1359, la France et l’Angleterre sont en guerre depuis 18 ans. Les batailles sanglantes et trêves plus ou moins longues se succèdent depuis 1337 et ne prendront fin qu’en 1453, après plus de cent ans.
Pour le royaume de France les premières décennies de cette guerre ont été désastreuses. En 1346, la chevalerie française a été décimée à Crécy.
Puis en 1348, la grande épidémie de peste fait plusieurs millions de morts dans la population européenne. La France est exsangue. A Capestang le grand chantier de construction d’une nouvelle collégiale s’arrête, faute de main d’œuvre et de moyens financiers.
A l’automne 1355, le Prince de Galles, duc d’Aquitaine, héritier de la couronne anglaise, que l’on nommera plus tard le Prince Noir, pille le Languedoc, du Lauraguais jusqu’au pays audois. Capestang « bonne ville et forte, séant à deux lieux de Béziers et deux de Narbonne … ville riche, séant sur la mer[1] et qui a des salines »[2], échappe de peu au pillage. Mais la guerre franco-anglaise se poursuit partout en France.
Le 19 septembre 1356, la bataille de Poitiers est une défaite terrible : la France perd 8 000 combattants et Jean II le Bon, roi de France, est fait prisonnier par les anglais, puis incarcéré en Aquitaine avant d’être transféré à Londres.
Edouard III est roi d’Angleterre mais revendique la couronne de France. Par sa mère Isabelle de France, il est le petit-fils de Philippe IV le Bel et possède l’Aquitaine.
Pour la libération de Jean II le Bon, Edouard III exige une énorme rançon de 4 millions d’écus d’or ainsi que la souveraineté de nombreux territoires français. Les négociations s’enlisent. Les français peinent à rassembler les fonds. Le roi de France, du fond de sa prison anglaise, sollicite le Languedoc, comme d’autres provinces françaises.
En novembre 1358, les Etats du Languedoc se réunissent à Carcassonne. La décision est prise d’envoyer une délégation de huit députés languedociens, escortée de 16 écuyers, pour visiter le roi Jean à Londres et lui apporter, entre autres, une somme de 10 000 florins or pour le maintien de son état.
Parmi ces huit députés, se trouve un capestanais : Bartolomé de Saint-Nazaire de Capestang. Était-il un noble chevalier, un riche bourgeois, un légiste ? Nous l’ignorons.
C’est dans les archives de la Tour de Londres[3] que l’on trouve la transcription d’un sauf-conduit du roi d’Angleterre Edouard III, daté du 13 février 1359 pour nos huit députés languedociens.
On peut y lire leur identité et leur ville d’origine :
- Bernat de Vinha et Arnaut Bernat Ruf, chevaliers de Toulouse
- Pons Blégier, docteur es lois, et Estève Rosier, de Montpellier
- Estève Salvaire de Nîmes
- Johan Rochier du Puy en-Velay
- Marc Montanier de Montréal
- Bartolomé de Saint-Nazaire, de Capestang
Partis sans doute à la fin du mois de décembre 1358 de Montpellier, la troupe est composée de 24 hommes : les 8 députés et 16 écuyers. Au début du mois de janvier 1359, ils sont en Avignon et parviennent un peu avant le milieu du mois de février en Angleterre, où ils sont reçus par le roi de France Jean II le Bon.
Pour le voyage de retour, Jean II le Bon délivre également un sauf-conduit, sous forme d’une lettre sur papier filigrané[4]. Il demande aux autorités des villes du royaume de France par lesquelles les députés étaient susceptibles de passer sur leur chemin de retour de faciliter leur voyage.
Ce sauf-conduit royal ne préserva guère les languedociens. Les deux députés de Montpellier ainsi que ceux de Nîmes et du Puy, furent attaqués près d’Anse, non loin de Lyon, retenus quelque temps prisonniers et dévalisés. La présence de ce sauf-conduit dans les archives montpelliéraines atteste cependant qu’ils obtinrent la restitution de leurs effets personnels après un recours auprès de Jean, comte de Poitiers et lieutenant du roi en Languedoc, qui adressa le 11 mai 1359, des lettres en ce sens à l’archevêque de Lyon. Les deux députés montpelliérains étaient rentrés dans leur ville au plus tard le 8 mai, date à laquelle ils remirent aux consuls une lettre du roi qui leur était adressée et qu’ils portèrent à la connaissance du comte de Poitiers et de son conseil qui se trouvaient alors à Montpellier
Les archives sont cependant muettes quant au sort de notre député capestanais, Bartolomé de St-Nazaire. Nous retrouverons peut-être sa trace ou pas, au gré de nos recherches à venir…
Bibliographie :
- Thomas Rymer, Foedera, conventiones, litterae et cujuscumque generis acta publica interreges Angliae et alios quosvis imperatores, reges, pontifices, principes, vel communitates…, https://archive.org/details/fderaconventione03ryme/page/n227/mode/2up?q=Capite+Stagno
- Archives municipales de Montpellier
- Charles-Victor Langlois, « Instructions remises aux députés de la commune de Montpellier », Mémoires de la Société Archéologique de Montpellier, VIII, 1892, n° 45, p. 437-452
- Histoire Générale du Languedoc, C. Devic, J. Vaissete, Tome X, note XXV, Editions Privat, 1878
Merci à Vincent Challet, historien médiéviste, enseignant-chercheur à l’Université Paul Valéry de Montpellier, pour l'archive montpelliéraine.
[1] Il s’agit de l’étang de Capestang, qui communique alors avec la mer
[2] Extrait des chroniques de Froissart, chroniqueur de langue d’oil, du XIVe siècle
[3] Actes de Thomas Rymer tome 3 page 178 (historien anglais du XVIIIe siècle, traducteur des archives de la Tour de Londres)
[4] Se trouve aux archives municipales de Montpellier
Transcription du sauf-conduit d’Edouard III
pour la délégation languedocienne de 8 députés (en latin)
Capture du roi de France, Jean II le bon, par les anglais, à Poitiers,
le 19 septembre 1356