par Michel Imbernon
Préambule
Pourquoi cette recherche sur cette période du village ? Sûrement parce que c’est celle qui a marqué ma famille maternelle, en particulier mon grand-père Francisco GALLASTEGUI de nationalité espagnole, installé à Capestang depuis le début des années 1920, communiste notoire et possédant une entreprise de maçonnerie prospère et dont la vie a tout à coup basculé à l’arrivée du régime de Pétain.
On a souvent parlé de la période dramatique pour Capestang de la Libération, mais des drames se sont aussi produits dans le village au début de la guerre.
Je me suis donc intéressé au compte rendu des Conseils municipaux de cette période pour essayer de comprendre à travers les prises de position du Maire de l’époque l’histoire du village.
La période d’avant-guerre 1938
Le village est dirigé depuis 34 ans par le même Maire CASAMIA Jean.(cf notice ci-dessous de l’historien Jean Sagnes)
Le contexte de l’époque
Au matin du 24 septembre 1938, les Français en sortant de chez eux découvrent les affiches de mobilisation des réservistes :
« Par ordre du ministre de la Défense nationale et de la Guerre et du ministre de l'Air, les officiers, sous-officiers et hommes de troupe des réserves, porteurs d'un ordre ou fascicule de mobilisation de couleur blanche, portant en surcharge le chiffre « 2 », se mettront en route immédiatement et sans délai, sans attendre une notification individuelle. Ils rejoindront le lieu de convocation indiqué sur leur ordre ou fascicule de mobilisation dans les conditions précisées par ce document. »
A la suite de cette mobilisation des réservistes, un vœu est proposé par le Maire CASAMIA et voté au Conseil Municipal de
Novembre 1938.
Tout en comprenant le sens politique de ce vœu, dans le contexte de l’époque où le patriotisme doit primer dans cette période de mobilisation des réservistes, on ne peut que remarquer les termes employés pour les étrangers « se dérobant à l’impôt du sang, s’enrichissant sur notre sol pendant que les Français se feront tuer ». On n’est pas loin de sous-entendus de type « ces juifs qui s’enrichissent sur le dos des Français » que l’on verra fleurir plus tard sous le régime de Vichy.
De plus l’appel aux employeurs pour discriminer les ouvriers en fonction de leur nationalité relève de ce qu’on appellera ensuite la préférence nationale et le port de l’étoile jaune pour certaines populations.
L’expulsion immédiate des étrangers n’ayant pas fait le choix de la France nous renvoie également à des thèses très actuelles d’extrême droite.
Il est surprenant pour un maire socialiste SFIO d’avoir des propos aussi xénophobes et antisémites même si le contexte d’avant-guerre peut expliquer un glissement du pays vers un nationalisme plus marqué. Son engagement très fort auprès du Comité autonome de Capestang dirigé par Victor RUSSEL lors de la grève des ouvriers agricoles d’Avril 1933 ne semble plus qu’un lointain passé de ses idéaux de gauche.
Cette diatribe contre les étrangers révèle aussi une xénophobie détestable pour un notable SFIO depuis 34 ans. Il est vrai qu’en ce qui concerne le mouvement socialiste, depuis l’automne 1938, les divisions internes sont très fortes au point que l’on attend à tout moment une scission au sein de la SFIO. Tiraillé entre le pacifisme et l’antifascisme, le parti de Léon Blum et de Paul Faure s’est enfoncé dans une crise profonde qui dure jusqu’à la défaite face à l’Allemagne.
La période de la guerre 1939-1941
Le décret du 26 septembre 1939 du Gouvernement Daladier dissout le mandat de tous les conseillers communistes de France suite à l’accord non dénoncé par le Parti Communiste Français entre Allemands et Russes.
A Capestang, le Conseil Municipal n’a pas été impacté par le décret probablement dû à l’absence de conseiller communiste.
En 1940, le Maire, dans un geste social et vu le coût de renchérissement des denrées, propose vu les difficultés de vie rencontrées par les employés municipaux d ‘augmenter les salaires du personnel communal.
Les noms des personnels cités parleront à beaucoup de Capestanais ainsi que leurs fonctions. Pour ma part j’ai une pensée pour ma tata de maternelle Albanie, qui habitait au Théron.
Un petit clin d’œil également au petit nombre d’employés municipaux qui étaient à l’époque sous contrat privé car la fonction territoriale a été créée après la guerre en 1952. (ci-après liste figurant dans la délibération municipale)
Le début du Régime de Vichy
En novembre 1940, un recensement des étrangers est ordonné par Vichy.
Par circulaire no 110/D du 11 novembre 1940, « conformément aux instructions des autorités supérieures françaises », le préfet demande aux maires ainsi qu’aux commissaires de police de lui fournir :
-
un état numérique, par nationalité, des étrangers résidant dans leur commune
- la liste nominative, par nationalité, des «étrangers indésirables» (communistes, expulsés et repris de justice) ;
- la liste nominative des étrangers indigents, par nationalité ;
- la liste nominative spéciale des réfugiés espagnols expulsés, indésirables, indigents ou hébergés au compte de l’État en indiquant ceux qui veulent et peuvent être rapatriés d’une part, ceux qui ne veulent ou ne peuvent être rapatriés d’autre part ;
- l’état numérique des réfugiés espagnols orphelins ;
- l’état des effectifs des compagnies de travailleurs qui pourraient exister dans leur commune.
L’élaboration de cette liste nominative des étrangers dits «indésirables» était donc laissée entièrement à la main des Maires.Il a donc été jugé par le Maire CASAMIA que mon grand père, étranger espagnol communiste, marié, ayant une fille née en France (ma mère Angèle) allant à l’école publique du village, travaillant en tant que maçon de façon honnête à Capestang depuis 20 ans et s’étant construit sa maison de ses mains dans le quartier, anciennement dit "Madrid" (en raison du nombre important d’espagnols s'y étant enracinés), était indésirable.
Pourquoi ce jugement ? On ne saura jamais quel ressentiment profond a motivé cet acte qui a détruit l’avenir d’une famille, car la suite de l’inscription sur cette liste fut son arrestation immédiate par les gendarmes, sa mise en prison à Béziers, l’incarcération dans les camps français pour étrangers ( RIVESALTES, GURS ) puis l’expulsion de France de mon grand-père en Espagne et son internement ensuite de 17 ans dans les prisons de la dictature du Général FRANCO.
Est-ce le résultat d’un anticommunisme viscéral du Maire ? Est-ce le résultat d’un règlement de comptes personnel ? Est ce le résultat de pression de certains groupes pro-Vichy ?
Peut être un premier signe de bonne volonté du Maire envoyé au Régime de Vichy...
Il faut savoir que la majorité des Maires de la Région n’ont pas eu ce zèle vis à vis de Vichy.
A Capestang, à ma connaissance, aucun autre étranger espagnol n’a été mis sur cette liste dont tout le monde savait qu’elle était synonyme de malheurs.
Mais les 7 et 13 janvier 1941, le Maire CASAMIA, se sentant probablement sur un siège éjectable malgré les gages donnés au régime de Vichy, fait voter une motion d’approbation à la politique du Maréchal Pétain et propose de rebaptiser une place au nom du Maréchal (à remarquer délibérations raturées, par qui?)
Vœu du 7 janvier 1941
Vœu du 13 janvier 1941
Malgré ces gages de bonne volonté vis à vis du Gouvernement, le 7 février 1941 le Préfet nomme le Docteur Gustave MAUREL comme maire ainsi que les 2 premiers adjoints BEDOS Gérard et LAFFON Emile, conformément à la loi du 16 novembre 1940, qui dissout d’office tous les conseil municipaux en place.
Le Maire propose une liste de 14 conseillers conforme aux recommandations de la loi (au moins une femme Mme BERNARD ESCOUBET sage femme).
Cette liste est validée par le préfet.
Les critères de nomination des édiles établis par la loi de 1940 étaient les suivants :
- le maire est nommé (article 12).
- les nouveaux édiles devaient disposer de la qualité de Français au sens où l'entendait le régime, les nominations devant en outre traduire ses nouvelles priorités, c'est-à dire "être faites de telle sorte que le conseil municipal compte obligatoirement parmi ses membres un père de famille nombreuse, un représentant de groupements professionnels de travailleurs, une femme qualifiée pour s'occuper des œuvres privées d'assistance et de bienfaisance nationales" (article 13 ).
On peut sans aucune polémique, remarquer le caractère plus conforme aux volontés du Gouvernement de Vichy, avec une majorité de propriétaires et de commerçants. Aucun conseiller sortant ne figure sur la nouvelle liste .
A Capestang, la bascule politique a bien eu lieu comme dans la moitié des communes françaises de plus de 2500 habitants, souvent sous l’impulsion de la Légion française des Combattants.
Notons également le 7 avril 1941, l’hommage obligatoire du nouveau conseil municipal du Docteur MAUREL, dès sa mise en place, au gouvernement de Pétain avec, il me semble, une pointe d’ironie du rédacteur avec l’utilisation du terme « petite patrie » .
Pour ma part, j’interprète l’emploi de ce terme comme le reflet d’un état d’esprit de certaines élites locales qui se rendaient compte que la France, pays vaincu et occupé, n’était plus qu’un champ de ruines aux mains d’un Gouvernement qui ne gouvernait plus grand-chose.
Ce déchirement dans la communauté nationale est probablement les prémices de la résistance ultérieure à l’envahisseur allemand et au régime de Vichy.
Conclusion
De ce rapide survol de cette courte période de l’histoire de Capestang, il est difficile de porter un jugement sur la base de données aussi succinctes que les comptes rendus des Conseils Municipaux. Toutefois ceux-ci sont bien le reflet officiel de la Municipalité et surtout du Maire CASAMIA.
Cet édile qui dirigeait le village depuis 36 ans devait probablement avoir une autorité sans partage sur son conseil, comme tout politique qui baigne dans le pouvoir trop longtemps. Il ne faut pas écarter toutefois des dissensions de plus en fortes au sein du Conseil Municipal à partir de l’avènement du régime de Vichy .
Pourquoi ce socialiste reconnu, conseiller général, a-t-il, à près de 75 ans, abandonné ou mis de coté ces principes humanistes de gauche pour tomber dans une xénophobie patente et un anticommunisme viscéral ?
Est-ce l’âge où il est souvent dit que l’on commence à gauche et l’on finit à droite ? Est-ce par vengeances personnelles ? Est-ce le goût du pouvoir à tout prix (voir sa tentative ratée de retour en 1944) ou est-ce l’ambiance de l’époque avec des groupes de pression pétainistes sur le village ?
Comment peut-on condamner des capestanais qui travaillaient et vivaient tranquillement à subir les rigueurs d’un régime dont beaucoup doutaient déjà, sans l’avouer, de sa survie.
Michel Imbernon
Sources : Délibérations communales de Capestang, numérisées et consultables sur le site des archives départementales de l'Hérault (lien fourni par P. Barjaud)
Texte mis en forme par Christine Espallargas-Moretti, téléchargeable et imprimable en format PDF, ci-dessous.
Le quartier «Madrid» cité dans le texte était surnommé ainsi en raison de la présence de plusieurs familles espagnoles qui s'y étaient installées et avaient construit leur maison dans les années 1930. C’est l’un des premiers lotissements du village. Son nom officiel était alors «Quartier Notre-Dame». Aujourd’hui les maisons de ces familles se situent au bas des rues Marcel Cachin, Gaston Thouret et de l’Avenue Léon Blum.
Texte complet à télécharger ci-dessous